Lama-Abu Odeh, professeure palestinienne américaine : "L’idéologie woke a tous les aspects d’un phénomène religieux"

C’est sans doute le symptôme d’un déclin, quand votre université est soumise à un culte puritain.
Professeure Odeh : "C’est sans doute le symptôme d’un déclin,
quand votre université est soumise à un culte puritain".           
(Photo : The Century Foundation)

Voici des extraits importants d'une entrevue au Figaro du 3 juin par Lama-Abu Odeh, professeure et auteure palestinienne américaine, spécialiste du droit islamique et du féminisme, qui enseigne au Centre de droit de l'Université de Georgetown. Vous pouvez lire l'entrevue complète en cliquant ici (il faut être abonné au Figaro).

« La domination progressive de la culture woke sur les campus me fait penser à l’essor de l’islamisme dans le monde arabe pendant les années 1980. Un beau jour, on s’est aperçu que toutes les femmes portaient le voile, et tous les hommes la barbe, et qu’il était trop tard. L’idéologie woke se répand de la même façon, et les personnes de gauche en Occident sont incapables de lui résister, tout comme les conservateurs dans le monde musulman ont été débordés par l’islamisme. […]

L’idéologie woke a tous les aspects d’un phénomène religieux. Ses adeptes déclarent que les principes mêmes de l’université sont racistes, et que le racisme est partout. Contre cette nouvelle censure, les gens de gauche sont incapables de défendre les principes les plus fondamentaux, comme la liberté d’expression. L’islamisme a commencé ainsi, en recrutant dans la classe moyenne éduquée, et en faisant de l’entrisme dans le système éducatif avant de se répandre jusque dans les sphères du pouvoir. […]

Un autre parallèle saisissant entre l’islamisme et le mouvement woke est le rôle des femmes. Si vous regardez ces foules qui défilent en pointant des doigts accusateurs, ce sont surtout des femmes. Des femmes noires, des femmes blanches. Ce sont toujours elles qui imposent les règles éthiques, et défendent traditionnellement les systèmes de valeur. Quand elles sentent, presque instinctivement, l’émergence d’un nouvel ordre moral, elles se transforment en missionnaires pour le répandre. […]

Le doyen a annoncé la formation d’un Comité antidiscrimination, habilité à recevoir des plaintes contre des professeurs ou d’autres étudiants. J’étais sidérée. C’est comme l’espionnage du parti Baas dans l’Irak de Saddam Hussein. Il a ensuite annoncé que tous les professeurs devraient suivre des formations à la diversité. Des universitaires noires de la côte ouest sont venues nous faire des conférences. J’ai été la seule, avec un autre professeur, à exprimer mes réserves. Une collègue m’a dit : mais comment oses-tu interrompre une femme noire ? Ce glissement a été rapide : des opinions politiques sont devenues un système moral, adopté par l’université. Ceux qui divergeaient se sont sentis menacés, et un système bureaucratique de surveillance a été mis en place. Et ça ne se produit pas seulement dans les universités ! J’ai des amis dans l’industrie, les ONG, la culture, qui me décrivent le même phénomène. Les gens commencent à faire attention à ce qu’ils disent. […]

Les universitaires ne sont pas très courageux. La plupart sont des fonctionnaires plutôt passifs. Je crains que ce mouvement woke ne soit pas un phénomène éphémère. Il ne va pas disparaître comme ça. Black Lives Matter est devenu une organisation extrêmement puissante, assise sur un trésor de 90 millions de dollars. Et cette nouvelle génération occupera bientôt des postes de responsabilité, et opérera une transformation profonde du système occidental. Ces militants deviendront les futurs enseignants et occuperont des postes au sein des gouvernements et à la tête des institutions culturelles. Nous allons entrer dans une nouvelle ère de surveillance et de censure. C’est sans doute le symptôme d’un déclin, quand votre université est soumise à un culte puritain. »


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